December 13, 2015

L’Érythrée, un pays tenu par les femmes

L’Érythrée, un pays tenu par les femmesPar Sihem_Souid – En arrivant en Erythrée j’avais en tête un certain nombre de préjugés véhiculés habituellement dans les médias sur la condition des femmes dans ce pays de l’est de la corne de l’Afrique. Et bien, le pied à peine posé sur le sol érythréen, j’ai pu constater que là-bas ce sont les femmes qui mènent la danse !

Au moment du contrôle de mon passeport par la Police de l’Air et des Frontières érythréenne, c’est un jeune homme aux traits fins d’environ 25 ans qui s’occupe de moi. Il met du temps à trouver mon visa et à saisir les informations concernant mon identité sur l’ordinateur. Une de ses collègues repère qu’il est en difficulté, lui prend mon passeport en le taquinant au passage et s’occupe très rapidement de mon cas. Elle s’excuse du temps d’attente et taquine de nouveau son collègue qui lui sourit en retour. J’ai tout de suite compris que la femme érythréenne était loin d’être soumise. La suite de mon voyage allait vérifier cette première impression.

Durant mon périple érythréen j’ai eu l’occasion d’échanger avec Madame Tekea Tesfamichael, la présidente de l’association de l’Union Nationale des Femmes érythréennes. J’ai aussi rencontré son équipe et visité leurs locaux à Asmara, capitale de l’Etat de l’Erythrée.

Madame Tesfamichael se confie : « Avant l’indépendance, les droits des femmes étaient très limités. Les hommes commandaient. Durant la lutte armée 30% des combattants étaient des femmes. Leur engagement avait deux facettes : la volonté de lutter pour l’indépendance de leur pays et la volonté de lutter pour permettre aux femmes d’avoir des droits équivalents à ceux des hommes. Après l’indépendance en 1991, les droits de la femme ont été reconnus, inscrits dans la loi et sont devenus une réalité sur le terrain. »

Les érythréennes s’étaient préparées à ce combat avant 1979 et la Convention de la femme à Genève. Aujourd’hui, hommes et femmes ont les mêmes droits aux yeux de la loi. Par exemple, après le mariage, l’épouse à droit à 50% de l’héritage, la femme garde son nom de jeune fille et ne porte pas le nom de son époux.
« L’Etat s’assure de l’égalité salariale aussi bien dans le secteur public que dans le privé. »
Dans le gouvernement actuel, 3 femmes sont ministres. Elles sont réciproquement en charge de la justice, de la santé et du tourisme.

L’association de l’Union Nationale des Femmes a pour objectif de sensibiliser et de faire prendre conscience à la population de l’importance du sujet des droits des femmes. Elle a aussi un rôle de défense et de contrôle de la bonne application des lois en la matière. Un bureau d’aide reçoit et accompagne les victimes devant la justice. Les problèmes rencontrés par les femmes en Erythrée sont de 4 types : Le viol, qui reste un tabou dans certaines régions mais qui est fortement condamné lorsqu’une plainte est déposée, en général d’un minimum de 15 ans d’emprisonnement ferme ; l’excision, qui a été abolie par une loi en 2007 et qui n’existe pratiquement plus, l’association fait de la pédagogie sur ce sujet dans tout le pays ; la violence physique et morale ; puis le mariage forcé. Ces pratiques existent et ne sont pas niées, mais l’association indique ”que les faits sont bien plus marginaux que ce qui est dénoncé et relayé dans les médias à l’étranger.”

Madame Tesfamichael insiste aussi sur un autre sujet : « Il faut savoir que des femmes soudanaises et éthiopiennes fuient leurs pays et se font passer pour érythréenne en demandant l’asile dans les pays occidentaux en disant qu’elles ont été victimes de viols et de violences. »

La présidente de l’association laisse à penser que la réputation faussement sulfureuse de son pays en la matière est entretenue volontairement dans les médias par ceux qui ont tout intérêts à laisser penser cela et exploiter cette situation.

L’association est représentée par un correspondant dans chaque ministère permettant ainsi de traiter plus facilement les dossiers urgents.
Elle finit l’entretien en me disant que sûrement le prochain president de l’État de l’Érythrée sera une femme.

J’ai aussi eu l’occasion de rencontrer la Ministre de la Justice, Mme Fouzia Hashim, qui m’a indiqué notamment que dans les tribunaux, les jurys de 3 personnes comportaient obligatoirement au moins une femme.

« Sans les femmes nous n’aurions rien pu faire et surtout pas pu avoir notre indépendance. L’Erythrée est injustement attaquée car s’il y a bien un pays qui protège réellement les droits de la femme, c’est bien celui-ci. Nous sommes beaucoup plus avancés sur les droits de l’homme que dans bien d’autres pays d’Afrique. Tout est inscrit dans les lois et les lois sont sévèrement appliquées chez nous. »

Le code civil est offert à chaque citoyen érythréen. La Ministre me l’a montré, il fait la taille d’un gros dictionnaire.
“A l’école, les enfants apprennent ce code afin de connaître leurs droits et de pouvoir aussi se défendre sans nécessairement avoir besoin de prendre un avocat.”

Dans les universités, la majorité des étudiants sont des femmes. Les femmes sont très présentes dans toute la société érythréenne. Elles ont un rôle majeur. Leur place importante dans la lutte armée pour l’indépendance n’y est pas pour rien. La Ministre de la Justice, par exemple, s’était engagée dans l’armée à 14 ans.

Thiras, une jeune érythréenne âgée de 23 ans que j’ai rencontré dans un bar à Asmara me confie que l’Érythrée n’est pas un pays parfait, qu’il reste certes encore des choses à améliorer, mais que les droits de la femme ici sont bien protégées.

J’ai vu dans la rue des femmes rire et des couples se tenir par la main. Du côté vestimentaire, les femmes ne sont pas entièrement couvertes, surtout les jeunes. Les femmes sortent la nuit en toute sécurité.

Je peux témoigner que ce que j’ai vu est loin des clichés et des images toutes faites véhiculées dans la plupart des médias. En Erythrée, ce sont les femmes qui commandent et qui tiennent le pays !

12 déc. 2015 Mediapart

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