September 22, 2013

Tout ce que vous ne devriez pas savoir sur l’Erythrée

Quatrième et dernière Partie

Mohamed Hassan – Investig Action – Membre et chercheur

Mohamed Hassan – Investig Action – Membre et chercheur

La Corne de l’Afrique est une des régions les plus meurtries du continent : guerres incessantes, famine, pauvreté… Des images que tout le monde connaît. Mais peu de gens savent que l’Erythrée estime possible de sortir de ce cercle infernal, de résoudre les conflits par le dialogue et d’atteindre un important niveau de développement. On pourrait s’en réjouir. Pourtant, aux yeux de la communauté internationale, l’Erythrée est un Etat paria, mis au banc des accusés du Conseil de Sécurité de l’ONU ! En quoi ce pays, dont personne ne parle, menace-t-il les puissances occidentales ? Dans ce nouveau chapitre de notre série « Comprendre le monde musulman », Mohamed Hassan dévoile tout ce que nous ne devrions pas savoir sur l’Erythrée. INTERVIEW : Grégoire Lalieu & Michel Collon

Des irrégularités ont entaché le dernier scrutin éthiopien. Mais en Erythrée, il n’y a toujours pas eu d’élections présidentielles depuis l’indépendance en 1993. Il n’y a pas d’opposition politique non plus, un parti unique gouverne le pays. L’Erythrée est-elle une dictature ?
En Afrique, les partis politiques n’existent pas et la démocratie multipartite ne fonctionne pas. D’abord, parce que ce modèle politique créé des divisions. Au Congo, par exemple, il y a presqu’autant de partis politiques que d’habitants. Le but de tout cela est de diviser les gens, non plus selon les tribus comme autrefois, mais selon les partis politiques. Il s’agit de démocraties de basse intensité.

Ensuite, le multipartisme ne fonctionne pas en Afrique parce que ce modèle de démocratie est un cheval de Troie pour les impérialistes. Les puissances néocoloniales faussent le jeu démocratique en finançant les candidats qui répondront le mieux à leurs exigences : accès aux matières premières pour les multinationales, alignement sur la politique étrangère, etc. Avec le multipartisme en Afrique, les impérialistes vous disent tous les quatre ou cinq ans : « Allez voter pour ces candidats que nous avons sélectionnés pour vous. Ils vont vous appauvrir et vous tuer. Votez pour eux ! »

La question est de savoir : la démocratie multipartite est-elle un idéal auquel tout pays doit impérativement aboutir ou bien un Etat est-il libre de choisir le système politique qui lui convient le mieux selon ses spécificités, son histoire et sa culture ? Compte tenu de la disparité ethnique et religieuse en Erythrée et du fait que la mobilisation est une composante essentielle du modèle de développement, vous devez favoriser un système qui renforce l’unité du peuple.  Un système à parti unique correspond donc mieux aux spécificités de l’Erythrée que le multipartisme.

En Occident, on a souvent tendance à croire que notre modèle de démocratie est le plus abouti. A tort selon vous ?
La démocratie dont les Occidentaux font la promotion est une démocratie de minorités. Le pouvoir n’est pas dans le parlement ou dans les partis politiques. Il se trouve derrière, concentré dans les mains de ceux qui détiennent l’argent, font tourner l’économie et financent les partis. Mais cette élite économique n’a jamais été soumise au suffrage universel. Pourtant, c’est elle qui détient le plus gros du pouvoir. Est-ce démocratique ?

Un exemple très simple : la publicité pour les enfants. Des études scientifiques ont établi que les publicités destinées aux enfants avaient un effet négatif sur le développement des plus petits. Si la population était correctement informée sur ce sujet et qu’on lui demandait de se prononcer sur la question, nul doute qu’elle choisirait d’interdire ce type de publicité. Pourtant, la plupart des gouvernements occidentaux ont toujours rejeté cette idée sous la pression des lobbies. On le voit donc clairement ici, les intérêts de l’élite économique priment sur la volonté populaire.

Dans son livre « Les Etats manqués », Noam Chomsky s’inquiète du déficit démocratique des Etats-Unis. Nous ne reviendrons pas sur l’élection pour le moins étrange de Georges W. Bush face à Al Gore en 2000. Meles Zenawi n’aurait probablement pas fait mieux. Chomsky rapporte un autre fait éclairant. Lorsque l’administration Bush a présenté son budget en février 2005, une étude révélait que les positions populaires étaient à l’opposé des politiques menées. Là où le budget augmentait, l’opinion souhaitait qu’il diminue (défense, guerres en Irak et Afghanistan, dépendance à l’égard du pétrole, etc.). Par contre, là où l’opinion souhaitait que le budget augmente, il diminuait (éducation, réduction du déficit, soutien aux anciens combattants, etc.).

Il serait trop long d’analyser ici toutes les lacunes des démocraties occidentales. Mais croire que ce modèle est la panacée est très prétentieux et loin de la réalité. La vice-ministre de la Culture en Bolivie proposait récemment une définition personnelle de la démocratie: « Un pays est démocratique quand les besoins fondamentaux de tous ses citoyens sont satisfaits. ».  Si l’on se rallie à cette conception, l’Occident a beaucoup à apprendre de l’Erythrée en matière de démocratie.

Le président Isaias Afwerki a mené la résistance contre l’Ethiopie et préside le pays depuis son indépendance. N’avait-il pas promis des élections ?
Il a dit que le pays a besoin de démocratie mais que pour rencontrer ce besoin, il faut d’abord établir des structures de base. L’Erythrée est un jeune pays, encore marqué par la guerre contre l’Ethiopie. Tout n’est pas parfait, il reste du chemin à parcourir. Selon moi, l’Erythrée est une démocratie populaire où les gens ont accès aux soins de santé, ne risquent pas la mort en buvant un verre d’eau, ont du travail, de la nourriture, de l’électricité… Je préfère vivre dans un pays comme celui-là plutôt que dans une soi-disant démocratie comme le Congo ou l’Ethiopie. Et si malgré tout, on considère l’Erythrée comme une dictature, je préfère vivre sous pareille dictature. Pour moi et mes enfants, car je sais qu’ils ne manqueront de rien et pourront aller à l’école.

Le gouvernement érythréen est souvent critiqué sur la question des droits de l’homme et notamment sur la liberté de culte. Hormis les quatre religions reconnues par l’Etat (l’Église orthodoxe d’Érythrée, l’Église catholique, l’Église évangélique luthérienne d’Érythrée et l’islam), tous les autres groupes religieux sont interdits. Comment expliquez-vous cette position du gouvernement ?
Toutes les autres religions ne sont pas interdites, mais si vous voulez adhérez à un autre culte que ceux autorisés par le gouvernement, vous devez faire une demande spécifique et entrer un dossier mentionnant notamment les sources de financement étranger. Il s’agit en fait d’une mesure de protection du gouvernement contre les religions exportées qui servent des intérêts politiques, principalement la religion protestante et le courant pentecôtiste.

Le pentecôtisme est tout droit venu des Etats-Unis et est très lié à l’extrême droite américaine qui entourait le président Georges W. Bush. Au nom de la liberté de culte, ce virus attaque la jeunesse africaine pour la détruire en promouvant la réussite matérielle et en exacerbant l’individualisme.

Très proches des valeurs anglo-saxonnes, ces religions exportées en Afrique ont toujours servi des intérêts politiques, permettant à la Grande-Bretagne et principalement aux Etats-Unis d’infiltrer la société africaine. En 1946 déjà, le consul général de France au Congo belge s’inquiétait : « Le gouvernement américain ne craignant pas d’écarter les missionnaires de leur véritable apostolat, s’en sert pour étendre son influence sur les pays du centre-ouest africain. (…) il n’est pas douteux qu’ils [les missionnaires] disposent de fonds considérables et que les autochtones seront ainsi attirés dans l’orbite américaine. ».

Aujourd’hui, les techniques se sont encore améliorées avec la méthode Pizza Land ! Imaginez : je suis un missionnaire protestant américain et je débarque en Afrique. Je repère des jeunes gens éloquents et les recrute. Ils sont très pauvres, il me suffit d’un peu d’argent pour les convertir. Je les achète en quelque sorte. Ensuite, je les envoie aux Etats-Unis, dans des écoles de marketing proche de la société Pizza Land, une firme de l’agro-alimentaire qui pratique des techniques de marketing très agressives. Formés, mes jeunes prêcheurs repartent vers l’Afrique où ils vont commencer leur travail de conversion, faisant de nombreux discours, créant des groupes de musique, montant des émissions de télévision… Les Etats-Unis ont dessiné ce projet d’influence qui prend de l’ampleur partout dans le monde.

L’Erythrée lutte contre cela car cette religion est très axée sur la richesse matérielle et l’individualisme. Certains prêcheurs se baladent en 4×4 et arborent des montres en or : c’est censé démontrer qu’ils ont été bénis par le Seigneur ! Mais à Asmara, on prône le bien-être général et la solidarité. D’autre part, le service militaire est obligatoire en Erythrée. Il est assorti d’un service civil durant lequel les jeunes participent à la construction d’hôpitaux ou aident les fermiers dans leur travail par exemple. Mais le gouvernement a commencé à rencontrer des problèmes lorsque des jeunes protestants ont refusé d’accomplir ces tâches, sous prétexte que leur religion le leur interdisait. Voilà pourquoi aujourd’hui, en Erythrée, vous pouvez adhérer à la religion que vous voulez, mais vous devez montrer patte blanche d’abord. Le gouvernement ne veut pas que la jeunesse se fasse infiltrer par ce virus.

Même s’il agit pour le bien-être de la population et du pays, le gouvernement ne devrait-il pas laisser le libre choix à ses citoyens ?
On ne peut pas parler de choix quand des missionnaires proposent de l’argent à des personnes qui n’ont pas grand-chose. Quand vous êtes démuni, vous n’avez pas le luxe de faire des choix. Vous optez naturellement pour la solution qui vous paraît la plus avantageuse. C’est presqu’une question de survie. Ca peut paraître étrange, vu de l’Occident, qu’un Etat impose des restrictions sur la liberté de culte. Mais en Afrique, dans les pays qui connaissent la misère, on ne peut pas parler de libre choix quand des missionnaires protestants achètent des gens pour les convertir, infiltrer la société et s’ingérer dans les affaires publiques.

Un autre point sur lequel l’Erythrée est régulièrement critiquée: la liberté de la presse. Pourquoi les médias privés sont-ils interdits dans le pays ?
Les médias privés africains n’existent pas. Pour lancer un média privé, vous avez besoin d’un important capital et vous devez concurrencer les groupes médiatiques occidentaux sur un marché libéralisé. C’est pratiquement impossible pour des petits Etats du Sud. Dans les années 70, de nombreux pays du Tiers-Monde avaient dénoncé l’impérialisme culturel dont ils étaient victimes, à savoir, selon le spécialiste de la communication Herbert Schiller : « l’ensemble des processus par lesquels une société est introduite au sein du système moderne mondial et la manière dont sa couche dirigeante est amenée, par la fascination, la pression, la force ou la corruption, à modeler les institutions sociales pour qu’elles correspondent aux valeurs et aux structures du centre dominant du système ou à s’en faire le promoteur. » L’Unesco lança alors le Nouvel Ordre Mondial de l’Information visant à rééquilibrer les flux de l’information à travers la planète. Mais les pays occidentaux boycottèrent cette entreprise, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis quittant même l’Unesco.

Les pays occidentaux occupent donc une position hégémonique sur le monde de l’information et utilisent les médias comme une arme de propagande pour servir leurs intérêts dans le Tiers-Monde et en Afrique particulièrement. Ce type de pratique a commencé avec les fascistes italiens dès les années 20. Et durant la Seconde Guerre mondiale, le grand Mufti de Jérusalem fut invité à s’exprimer sur le programme arabe de Radio Roma pour inciter les peuples colonisés à se soulever contre l’ennemi britannique. Les pays impérialistes ont tiré les leçons de cette propagande de guerre et les technologies se sont améliorées. Si bien qu’aujourd’hui, BBC a un programme international très complet. Et Voice of America, le service de diffusion internationale du gouvernement américain, est très présente en Afrique, émettant en amharique, tigrinya, somali, etc.

Evidemment, ces grands médias internationaux, qu’ils dépendent directement de leur gouvernement ou qu’ils appartiennent à de riches capitalistes, ne vont pas jeter des fleurs aux pays du Sud qui tentent de résister à l’impérialisme. C’est pourquoi, dans le souci de se protéger de cette guerre médiatique où tous les pays ne jouent pas à armes égales, l’Erythrée a pris la décision d’interdire les médias privés.

La création d’Al Jazeera n’a-t-elle pas un peu rééquilibré les inégalités Nord-Sud dans le monde de l’information ?
Tout à fait. Et beaucoup d’autres médias arabes ont suivi. Mais récemment, le Congrès des Etats-Unis a produit un rapport très instructif sur le danger de ces médias arabes. Il estime que ces télévisions qui rapportent la réalité sur le terrain, en Irak notamment, véhiculent des idées anti-américaines et influencent l’opinion US. Le Congrès estime que ce sont des télévisions terroristes qu’il faut interdire. Les impérialistes critiquent donc l’absence de médias privés en Erythrée et inondent les pays du Tiers-Monde avec leurs informations. Mais ils refusent que dans l’autre sens, les médias du Sud informent les citoyens occidentaux. Pourquoi ? La liberté d’expression ne serait-elle bonne que lorsqu’elle sert les intérêts des puissances impérialistes ? Les gouvernements occidentaux ont-ils quelque chose à cacher à leur population sur ce qu’ils font dans le Sud ?

Outre l’absence de médias privés, l’Erythrée est accusée de détenir un grand nombre de journalistes en prison. Le gouvernement n’est pas très ouvert à la critique ?
Tout d’abord, il faudrait pouvoir vérifier les chiffres avancés. Ensuite, il faut savoir que beaucoup de personnes se font passer pour des journalistes, mais sont en réalité au service des puissances impérialistes. L’un d’eux par exemple travaillait directement pour l’ambassade américaine. L’Erythrée est un pays souverain qui cherche à se développer. Mais certains, sous couvert de faire du journalisme, tentent de manipuler l’opinion publique et de déstabiliser le gouvernement. Les services secrets américains soutiennent cela. Ils tentent d’infiltrer la société érythréenne et incitent les jeunes à fuir le pays. L’idée derrière cela est que si la plupart des jeunes quittent le pays, l’armée sera affaiblie, l’économie ne tournera plus et le gouvernement sera renversé. Cette technique n’est pas nouvelle. Elle a déjà été appliquée à Cuba. Au Venezuela également, les services secrets américains financent des médias anti-Chavez, des partis d’opposition, des ONG critiques envers le gouvernement, etc. Les Etats-Unis ont toujours cherché à déstabiliser les gouvernements qui n’étaient pas alignés sur leur politique.

Le gouvernement érythréen ne réagit-il pas trop durement ? En tant que journaliste, je peux me rendre en France et critiquer le gouvernement, je ne serai pas arrêté pour autant.
Vous ne serez pas arrêté, mais si vos critiques sont vraiment pertinentes, vous n’aurez pas pignon sur rue. Vos articles seront publiés sur des sites d’information alternative ou dans des pamphlets par exemple. Et vous toucherez un public très minime comparé à celui qui s’informe via TF1 par exemple. Si vous voulez vous exprimer sur ces grands médias capitalistes, vous devez chanter ce qu’ils veulent entendre. Donc, d’une certaine manière, vous êtes déjà en prison.

Bien-sûr, vous pouvez vous inquiéter du manque de liberté en Erythrée. Mais posez-vous la question : comment réagirait la Belgique si l’Iran finançait des grandes chaînes de télévision appelant à renverser le gouvernement et menaçait constamment de bombarder Bruxelles? Comment réagirait la France si Cuba appuyait des groupes terroristes cherchant à assassiner Nicolas Sarkozy ? Comment réagirait Washington si le Venezuela finançait et formait des groupes politiques et des syndicats d’opposition aux Etats-Unis ? Il y a fort à parier que les citoyens occidentaux ne jouiraient plus des mêmes libertés. Aux Etats-Unis, il n’a même pas fallu attendre d’arriver à un tel stade pour que le gouvernement vote un ensemble de lois liberticides, le fameux Patriot Act censé lutter contre le terrorisme.

Finalement, l’Erythrée ressemble fort à Cuba. Isaias Afwerki et Fidel Castro, même combat ?
C’est vrai que tous deux ont lutté pour libérer leur pays avant de le présider. Ils ont lancé une révolution sociale en faveur du peuple. Et autant l’Erythrée que Cuba sont des bastions contre l’impérialisme. Ce qui leur vaut les foudres des Etats-Unis.

Tout comme contre Cuba, Washington mène donc une campagne contre l’Erythrée, critiquant par exemple son manque de démocratie. Les systèmes politiques sont d’ailleurs assez semblables à La Havane et Asmara. Mais les critiques de Washington sont-elles fondées pour autant ? François Houtart rapportait cette anecdote récemment : un député luxembourgeois, en visite à La Havane, lui avait confessé avoir trouvé plus de démocratie à Cuba que dans son propre parti ! Car au-delà de l’existence d’un parti unique et de la longévité de Fidel Castro aux affaires politiques, il existe un tas d’instances démocratiques, à d’autres échelons. La chose est valable également pour l’Erythrée où, dès la lutte pour l’indépendance, le FPLE a mis en place des conseils démocratiques dans les villages, renversant l’ordre féodal et favorisant l’émancipation des femmes qui pouvaient s’impliquer dans la gestion politique.

Autre cheval de bataille US contre Cuba et l’Erythrée : la question des droits de l’homme. Là encore, s’agit-il d’une technique de propagande ?
Le souci que manifestent les Etats-Unis pour la question des droits de l’homme ne tient pas longtemps la route lorsqu’on observe la politique étrangère de ce pays. Washington s’inquiète du respect des droits de l’homme à Cuba ou en Erythrée. Mais elle soutient l’Arabie Saoudite où une femme qui se fait violer est condamnée au fouet et emprisonnée. Mais elle soutient la Colombie où les opposants politiques et les syndicalistes sont massivement assassinés. Mais elle soutient le dictateur Islom Karimov qui fait bouillir à mort les dissidents en Ouzbékistan. Et la liste est longue.

Par ailleurs, les Etats-Unis ne sont pas en reste en matière de torture. Ce qui se passe en Afghanistan, en Irak, ou dans les prisons secrètes de la CIA, entache quelque peu l’armure du chevalier blanc US.

Enfin, il faut également rappeler que la charte des droits de l’homme comporte également des droits socio-économiques. Par exemple, « Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que les services sociaux nécessaires ».  Ces droits socio-économiques ennuient les Etats-Unis qui militent pour les retirer de la charte. Selon Jeane Kirkpatrick, ancienne ambassadrice US auprès des Nations Unies, ils sont une lettre au Père Noël.

On pourrait en effet se demander qui, de l’Erythrée, de Cuba ou des Etats-Unis, respecte le plus les droits de l’homme. Lorsque vous arrivez à l’aéroport de Cuba, vous pouvez lire cette affiche : « Ce soir, 200 millions d’enfants vont dormir dans la rue, pas un seul d’entre eux est cubain. ». Aux Etats-Unis par contre, des familles américaines ont été mises à la porte de leur maison à cause des banques et de l’Etat qui a dérégulé le secteur financier. En France, « pays des droits de l’homme », il y aurait environ 800.000 sans-abris.

La question des droits de l’homme est un argument auquel recourent souvent les puissances impérialistes pour tenter de décrédibiliser leurs ennemis. Mais tout cela est très hypocrite. Cela dit, cette instrumentalisation ne doit pas empêcher toute critique envers le gouvernement érythréen, qui a encore du chemin à parcourir. Simplement, il faut se montrer méfiant lorsqu’un pays comme les Etats-Unis utilise la question des droits de l’homme pour mener une politique guerrière.

Les Etats-Unis ont toujours lutté contre Cuba pour éviter que d’autres pays en Amérique Latine suivent l’exemple. Aujourd’hui, Washington portent les mêmes inquiétudes sur l’Erythrée. Pensez-vous que la révolution érythréenne et son modèle de développement pourraient inspirer d’autres pays en Afrique et libérer le continent du néocolonialisme ?
Chaque pays a ses spécificités. Une révolution ne s’exporte pas telle qu’elle au-delà des frontières. Néanmoins, cette volonté de se libérer des puissances impérialistes devrait inspirer d’autres gouvernements en Afrique. Le continent dispose de tellement de richesses.

Notez également que la vision politique de l’Erythrée est régionale. Elle ne veut pas laisser de place aux interférences des puissances étrangères mais a bien conscience qu’elle ne peut se développer seule. Tous les pays de la Corne de l’Afrique doivent se mobiliser et résoudre leurs contradictions par le dialogue. La région est riche et bien située. Elle pourrait devenir un pôle économique très important. La crise somalienne pourrait également être résolue si on abordait le problème dans cette perspective régionale. C’est ce que tente de faire l’Erythrée mais les impérialistes s’efforcent de bloquer ce projet qui leur fait peur. Alors les Etats-Unis accusent Asmara de soutenir des terroristes et montent l’Ethiopie contre ses voisins. Imaginez si la zone de libre-échange entre l’Erythrée et l’Ethiopie avait été étendue au Soudan, à Djibouti, à l’Ethiopie puis au Kenya et même à l’Ouganda. Vous auriez eu là un très grand marché, avec beaucoup de ressources, sans intervention des puissances occidentales et connecté aux pays arabes ainsi qu’au marché asiatique.

Il y avait déjà eu une expérience assez semblable dans les années 60 : le Kenya, l’Ouganda et la Tanzanie avaient créé un marché commun avec des accords de libre-échange. Mais les impérialistes, pris de peur, organisèrent un coup d’Etat en Ouganda, plaçant Idi Amin Dada au pouvoir en 1971. Un an plus tard, le projet de marché commun s’effondrait et tous ses pays membres entraient en crise. Quant à l’Ouganda, il traversa une guerre civile pendant de longues années.

Le fait est que l’impérialisme, et particulièrement l’impérialisme US, est le pire ennemi de la région. Tant que cette interférence existera, l’Erythrée aura des problèmes. Mais si les acteurs régionaux parviennent à se mettre d’accord avec l’Erythrée, même à 50%, les choses changeront totalement. Il y aura un énorme bond économique qui aura des effets bien au-delà de la seule Corne de l’Afrique !

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Mohamed Hassan est un spécialiste de la géopolitique et du monde arabe. Né à Addis Abeba (Ethiopie), il a participé aux mouvements d’étudiants dans la cadre de la révolution socialiste de 1974 dans son pays. Il a étudié les sciences politiques en Egypte avant de se spécialiser dans l’administration publique à Bruxelles. Diplomate pour son pays d’origine dans les années 90, il a travaillé à Washington, Pékin et Bruxelles. Co-auteur de L’Irak sous l’occupation (EPO, 2003), il a aussi participé à des ouvrages sur le nationalisme arabe et les mouvements islamiques, et sur le nationalisme flamand. C’est un des meilleurs connaisseurs contemporains du monde arabe et musulman. 

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